Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
CAVAIGNAC MINISTRE


reproche. Fils d’un soldat, soldat lui-même pendant la guerre où il s’était bravement conduit, avait été décoré de la médaille militaire (il ne voulut jamais d’autre décoration), ancien élève de l’École polytechnique, sous-secrétaire d’État, puis, pour la seconde fois, ministre de la Guerre, il n’est pas un vulgaire civil comme Brisson, mais presque un militaire. L’heure est venue de faire avancer la grosse artillerie.

Il s’était flatté d’abord de convaincre les partisans de la Revision, avait repoussé dans son discours à la Chambre la tentation d’assurer le respect de l’armée par des mesures répressives qu’il trouvait alors indignes d’elle. C’était un fait qu’il y avait échoué. À ne regarder que l’apparence des choses, il triomphait : Zola en exil, Picquart en prison, lui-même acclamé à la fois par l’armée et par le peuple, par les cléricaux et par les radicaux. Mais l’envers de ce décor était pourri : la lettre de Panizzardi arguée de faux, la collusion de Du Paty et d’Henry avec Esterhazy, un fourmillement encore obscur de vilenies, tout ce qu’il en savait ou devinait, dont il n’avait encore rien dit à Brisson ; et l’heure approchait où il le révélerait lui-même, car il restait toujours résolu à figurer, au dessus des partis, l’homme inflexible de la justice distributive. Ainsi, il arrachait Esterhazy à Bertulus et persistait à l’envoyer devant un conseil d’enquête. Ainsi, il eût voulu que Du Paty, accusé à tort par Picquart d’être l’auteur des faux télégrammes, déposât contre lui une plainte en dénonciation calomnieuse[1], et il en avait entretenu Brisson, Sarrien, Vallé, le procureur général et le procureur de la République, qui eurent grand’peine à lui faire comprendre que ce

  1. Brisson, dans le Siècle du 12 mai 1903. — Cavaignac avait consulté le bâtonnier Ployer qui approuva fort l’idée du minis-