Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


n’avait pas seulement parlé à Scheurer dans l’intérêt de Picquart, mais dans celui de Dreyfus[1]. Aussi bien Leblois n’est-il pas poursuivi pour avoir manqué au secret professionnel, « mais pour avoir aidé ou assisté Picquart », auteur principal dans le délit d’espionnage qui leur était imputé.

Cependant le juge ne laissait pas d’être troublé. La version de Picquart, qui eût pu jouer si aisément au chevalier du droit, aurait convaincu un soldat loyal qui connaît l’âme militaire, façonnée par la discipline et la moins capable qui soit de révolte. Elle devait paraître suspecte à un civil qui n’était pas un psychologue de profession et qui n’avait pas vécu de la vie des camps. Bien plus, outre les mensonges qui lui avaient été faits par les officiers, leurs silences, leurs airs entendus, chaque fois qu’il essaya de savoir ce qu’il y avait dans les dossiers de la Guerre, n’avaient pas peu contribué à l’égarer. Le misérable dossier secret du procès de 1894 était « d’une extrême importance » ; « il y avait le plus grand intérêt à n’en rien divulguer[2] ». Le seul fait pour Picquart d’avoir révélé à Leblois l’origine du petit bleu (ce qui, d’ailleurs, était inexact) constituait « pour la sécurité extérieure de l’État le plus grand danger[3] ». Même l’imbécile dossier des pigeons voyageurs[4].

  1. Leblois lui-même en était à peu près convenu : « J’ai cru remplir mon devoir de citoyen et d’avocat, en faisant connaître aux chefs de l’armée et au président du Conseil les faits que le colonel Picquart m’avait révélés pour sa défense. » (138.) Fabre profita de l’aveu : « Vous n’avez en réalité songé qu’à une chose : « mener le gouvernement à poursuivre Esterhazy pour trahison. » ; Cette fois Leblois s’en défendit : « Je proteste contre cette interprétation de mes actes ; elle est contraire aux fait et à mes intentions. » (196).
  2. Instr. Fabre, 13, Henry ; 14, Gonse.
  3. Ibid., 43, Pellieux : « De ce fait seul, j’estime que Picquart et Leblois tombent sous le coup de la loi de 1886. »
  4. Ibid., 15, Gonse : « Ce dossier contient des renseigne-