Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
CAVAIGNAC MINISTRE


furent avant lui, par les mêmes illusions et par les même hommes et, d’abord, par Henry, son principal témoin et le premier qu’il entendit en sa qualité de chef du bureau des Renseignements[1].

Il y avait plus de deux ans qu’Henry avait porté à Gonse contre Picquart les accusations que Cavaignac, à son tour, adoptait. Ce procès, c’était son œuvre, sa chose.

Cependant, pour quelqu’un qui l’eût mieux connu que Fabre, il n’était plus le même[2], ce solide Henry, infatigable, à la voix pleine et rude, aux assertions péremptoires, qui ne doutait de rien parce que nul encore ne doutait de lui, et qui ne sentait pas plus le danger que l’homme dans la force de la vie ne pense à la mort. Maintenant, dans ce lourd mois de juillet aux angoisses quotidiennes, l’échéance approchait, sa décision d’autrefois ne lui revenait plus que par accès. Ses mensonges étaient plus mous.

Ils portèrent d’autant plus sur l’esprit du juge qui prit sa modération, dictée par une vague peur, pour une loyale et prudente réserve.

Il ne rétracta d’ailleurs rien de ses délations et insinuations d’autrefois.

Il n’a eu connaissance du petit bleu que reconstitué par Lauth ; il n’en a jamais vu les déchirures « dans le cornet ». Les visites prolongées de Leblois à Picquart « gênaient le service ». Un soir qu’Henry était entré au bureau, il les trouva en conférence, le dossier secret devant eux ; la pièce « Canaille de D… » sortait de l’enveloppe ; pourtant il ne remarqua pas qu’ils eussent

  1. 15, 22 juillet, 5 et 8 août 1898.
  2. Cass., I, 211, Picquart : « Ce n’était plus l’homme décidé des conseils de guerre et de la cour d’assises ; ses affirmations étaient plus molles. »