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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


même en danger[1]. Il ne l’autorisa à en faire part qu’à un membre du Gouvernement, lui interdit d’en informer Mathieu Dreyfus ou Demange[2].

C’est ce que Picquart avait expliqué déjà sous la foi du serment aux procès d’Esterhazy et de Zola. Il n’a pas été un faux témoin. Accusé, il répète ce dont il a déposé à la barre. Dire aux amis de Dreyfus : « J’ai caché l’épée sous le myrte… », à ceux de l’État-Major : « J’ai parlé seulement quand je me suis jugé menacé dans mon honneur et ma sécurité…[3] », il ne descendit pas à ce double jeu. Aux uns et aux autres, partout, il ne tint qu’un seul langage, le plus modeste. Aux revisionnistes qui s’étonnaient, comme Clemenceau[4], de son long silence, il eût pu alléguer qu’en se gardant lui-même il avait gardé son meilleur témoin à Dreyfus. Aux militaires et aux juges qui lui reprochaient l’usage que Leblois avait fait de ses demi-confidences, il aurait pu répondre en désavouant son ami. Il se refusa éga-

  1. Instr. Fabre, 81, Picquart : « Instruit par l’exemple de l’affaire Dreyfus, je savais comment un officier suspecté pouvait être rapidement accusé, mis au secret et convaincu sur de fausses implications, avant d’avoir pu se défendre. »
  2. Ibid., 176 : « En faisant pour votre défense certaines communications à Me Leblois, n’avez-vous pas eu la pensée qu’elles ne devaient être transmises qu’à un membre du Gouvernement ? — Je n’avais que cette pensée, sans quoi j’aurais employé d’autres moyens. — Saviez-vous que Me Leblois devait parler de votre défense à M. Scheurer-Kestner ? — Je n’en savais rien. Je ne connaissais pas M. Scheurer-Kestner et j’avais laissé à Me Leblois toute liberté d’action. » — De même à Rennes, I. 460.
  3. Ibid., 81, Picquart : « Me jugeant menacé dans mon honneur et ma sécurité personnelle, jugeant absolument illusoire de m’adresser à des chefs qui s’étaient débarrassés de ma présence dans des circonstances si extraordinaires, je partis pour Paris afin de prendre les mesures que je jugeais nécessaires, »
  4. Voir t. III, 220.