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CAVAIGNAC MINISTRE


Picquart, dans les nombreux interrogatoires que le juge lui fit subir, resta fidèle à lui-même, dans la logique de sa conduite et de son caractère, et se perdit d’autant plus. L’accusation, dont il se défendait, c’était d’avoir livré à Leblois le secret de l’erreur judiciaire dans le dessein de la faire réparer par les civils, puisque les militaires s’y étaient refusés ; d’autre part, l’admiration bruyante que les revisionnistes professaient pour lui consistait à le glorifier précisément de ces incriminations et à en reconnaître par là le fondement. Or, comme on l’a vu, amis et adversaires faisaient également erreur ; la réalité beaucoup plus humaine était tout autre, et Picquart s’y tint. Il eût pu se parer maintenant de ces belles diffamations, n’y risquant plus grand’chose ; l’iniquité poursuivra son cours, quelle que soit son attitude. Il n’en fit rien. Il avait été un officier discipliné, y mettait son honneur, et, d’un bout à l’autre de ces procédures[1], ne lutta que pour le prouver.

Il raconta son histoire avec une extrême précision, « sans faiblesse, ni outrance[2] », comme au procès de Zola, ajoutant à peine quelques détails, et avec un peu « moins de réserve[3] ». En consultant Leblois sur l’affaire Boulot et sur la législation des pigeons voyageurs, il pense n’avoir rien fait d’incorrect. Il n’a jamais communiqué le dossier secret de l’affaire Dreyfus à son ami. Il ne lui a révélé l’erreur judiciaire de 1894 et le nom d’Esterhazy que le jour où il s’est senti lui-

    agents le découvrirent dans un hôtel garni de la rue de Sèvres. Le juge leur délivra un mandat d’amener ; « quand ils se présentèrent pour arrêter l’escroc, ils apprirent qu’il venait d’être trouvé pendu. C’était Lemercier-Picard.

  1. Il subit neuf interrogatoires et fut confronté avec Gonse, Henry, Gribelin, Lauth, Junck, Valdant, Savignaud et Capiaux.
  2. Anatole France, Bergeret à Paris, 195.
  3. Instr. Fabre, 71, Picquart.