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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

VI

Pellieux, tout résolu qu’il était, eût voulu se couvrir d’une autorité juridique. Peut-être eut-il un scrupule sur le comique du prétexte qu’on lui suggérait pour refuser l’expertise : le respect de la chose jugée, le bordereau déjà attribué à Dreyfus. Il demanda à consulter un magistrat sur la façon de conduire son enquête ; Henry lui indiqua Bertulus.

C’était un homme jeune encore, d’intelligence alerte, précautionné, mais capable d’audace, qui n’hésitait pas à revenir quand il avait été trompé, un peu apprêté, avec de l’esprit naturel, adroit sans platitude, inquiétant d’abord et n’inspirant confiance qu’à l’user, très moderne d’allure, se plaisant dans le monde et y plaisant. On lui réservait, depuis quelques années, les affaires d’espionnage. Il était entré ainsi en relations avec le bureau des renseignements, avec Sandherr et surtout avec Henry. Quand Picquart prit le service, Bertulus voulut le connaître. Henry lui fit un portrait peu engageant de son nouveau chef, personnage plein de lui-même, prétentieux, tatillon, grand coupeur de cheveux en quatre, faiseur d’embarras, dont il n’aurait que de l’ennui[1]. Mieux valait continuer à n’avoir affaire qu’à lui, Henry, avec qui il était accoutumé de travailler, à la bonne franquette.

Bertulus, qui détestait l’espèce de gens que lui avait décrite Henry, en resta là.

Cependant, quand il reçut l’invitation de Pellieux à col-

  1. Cass., I, 220, Bertulus.