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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


rer mensongèrement par Lauth que la pièce est de l’écriture de Schwarzkoppen, alors que l’écriture du petit bleu est entièrement inconnue au bureau. Le document, au surplus, n’a aucun caractère de vraisemblance. Enfin, Picquart, depuis longtemps, guettait Esterhazy ; il a fait saisir sa correspondance ; dès l’année d’avant, il avait commencé un dossier contre lui, témoin l’article nécrologique du marquis de Nettancourt (antidaté par Henry).

Henry accuse-t-il formellement Picquart d’avoir fabriqué la carte-télégramme et de l’avoir introduite lui-même dans le cornet, après, l’avoir déchirée pour faire croire qu’elle venait de l’ambassade ? Il n’en a garde ; l’accusation franche sera portée par Esterhazy qui peut le faire à bon droit, étant renseigné par la dame voilée, par la maîtresse de Picquart[1]. Mais le récit d’Henry tend à faire naître, dans le cerveau de Pellieux, la pensée accusatrice qu’il hésite, en bon camarade, à formuler. L’une des beautés de la diffamation chez Henry, c’est le crescendo. Il a lu Beaumarchais ou il l’a deviné. Il va toujours du simple au composé, de l’insinuation qui rase le sol à la calomnie qui éclatera comme la tempête.

Et, encore une fois, la fourberie qu’il attribue à Picquart, c’est celle qu’il a commise lui-même quand il a déchiré le bordereau que Brücker lui avait remis intact.

Il ne dénonça pas à Pellieux le grattage de l’adresse du petit bleu, réservant sans doute, pour l’avenir, cette autre preuve matérielle de la vilenie de Picquart ; mais il imputa formellement à Souffrain, agent du Syndicat,

  1. Esterhazy, dans son dernier interrogatoire (2 décembre 1897), demanda une enquête sur l’origine et l’authenticité du petit bleu.
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