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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


violence calculée des coups d’éclat qu’il ne serait pas adroit de renouveler trop souvent. Rien de tel à craindre dans le cabinet de Pellieux. Sa ruse de paysan y est à l’aise, se joue des crédulités complaisantes. Ce qu’il montre, tout ce qu’il dit, devient article de foi[1].

Henry ne cacha pas qu’il avait connu autrefois Esterhazy, tout comme Pellieux lui-même. D’ailleurs, il ne le déchargeait que de l’accusation de trahison : le bordereau a été décalqué par Dreyfus sur l’écriture d’Esterhazy et le petit bleu est une pièce suspecte. Il n’essaya nullement de faire passer Esterhazy, dans sa vie privée ou militaire, pour un modèle. On peut calomnier un joueur, un libertin, comme un honnête homme.

Aussi bien, Henry lui-même n’a-t-il pas été accusé de trahison et presque en même temps qu’Esterhazy ?

En effet, après avoir raconté, à sa façon, les entrevues de Bâle et de Luxembourg avec Cuers, Henry confia à Pellieux que l’officier français incriminé par l’agent étranger, c’était lui-même. « D’une lettre, dit-il, qui existe au ministère de la Guerre et qui est arrivée dans les premiers jours de novembre, il ressort que c’est moi qui étais le chef de bataillon visé[2]. »

Il eût fallu du génie à Pellieux pour observer alors que cette lettre (qui n’a jamais été produite) arrivait à l’État-Major à un moment bien opportun.

  1. Je donne ici, et non à la date du 28 novembre, le résumé de la déposition d’Henry devant Pellieux. Il résulte, en effet, des questions posées par Pellieux à Picquart, le 26 et le 27 novembre, qu’il était déjà au courant des divers incidents qui s’étaient produits à L’État-Major, du printemps à l’automne de 1896. Ainsi, le 26 : « Je vous prie de me faire savoir dans quel but vous avez fait disparaître, dans la photographie du texte, les traces de déchirure qui existaient sur l’original ? » etc.
  2. De même Lauth : « La personne que Cuers avait voulu désigner n’était autre que le commandant Henry lui-même. » (28 novembre 1897.)