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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


lement quand il a été menacé par Henry et pour assurer sa défense que Picquart a eu recours à l’avocat, et avec quelle discrétion ! Quand Leblois a entretenu Scheurer, c’est à l’insu de Picquart. Mathieu n’a pas connu par Scheurer le nom d’Esterhazy.

On eut, d’ailleurs, de Picquart lui-même, incapable (Boisdeffre le savait) de mentir, la confirmation des dires de Leblois. Quatre jours avant la déposition de l’avocat, le jour même où Mathieu dénonça Esterhazy, le ministre avait télégraphié au général Leclerc : « Le gouvernement a reçu des lettres l’informant que le colonel Picquart a fait des révélations à des personnes étrangères à l’armée ou leur a communiqué des documents au sujet des faits relatifs à son service. » — Scheurer avait entretenu Méline des lettres de Gonse ; Méline en avait parlé à Billot. — Picquart répondit qu’il n’avait fait de communications qu’au seul Leblois et dans quelles circonstances[1].

Cependant, pour réservé qu’ait été Picquart, s’il est interrogé, il dira la vérité, et le danger est là. Lui seul, en effet, connaît d’autres preuves de la trahison d’Esterhazy que le bordereau. Or, Scheurer exige que Picquart soit appelé à Paris pour y déposer ; sinon, l’enquête sera déloyale et une comédie !

On s’aperçut aussi qu’Henry avait commis sa faute habituelle de frapper un coup de trop. S’il n’avait pas fait jeter, par Esterhazy et Drumont, le nom de Picquart à tous les vents, il eût été possible d’étouffer dans le huis clos de Pellieux la protestation de Scheurer. Maintenant, le public, mis en goût, demande Picquart. N’oublions jamais que nous sommes à Paris, entendez : au théâtre. Esterhazy est un personnage de théâtre,

  1. Cass., I, 200 ; II, 213, Picquart.