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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


l’affaire qu’aux chefs de l’armée. Il commença par montrer à Pellieux un article de journal qui relatait sa réponse ; excipant de sa qualité d’avocat[1], il lui demanda ensuite « s’il était autorisé par le ministre de la Guerre et par le gouverneur de Paris à recevoir ses confidences[2] ».

Le général répondit affirmativement ; puis, à mi-voix, avec un peu d’émotion : « Je veux sauver le colonel Picquart. »

Leblois ne voulut pas comprendre. Pellieux, évidemment par ordre, lui offrait le salut de Picquart au prix du sacrifice de Dreyfus. Mais l’ignominie d’un tel marché, dès le premier mot, aurait dû le mettre sur ses gardes. Au contraire, il se laissa aller à son impatience de servir la cause qu’il savait juste, et, pendant trois heures d’horloge, il rapporta à Pellieux tout ce qu’il avait appris de Picquart et beaucoup plus qu’il n’en avait jamais dit à Scheurer. Il lui montra les lettres de Gonse et convint, sur une insidieuse question, qu’il connaissait l’existence d’un dossier avec une pièce grave contre Esterhazy[3]. Il remit enfin à Pellieux, de la part de Scheurer, le billet anonyme d’Esterhazy du 9 novembre : « Piquart est un gredin[4]. »

Le général le laissa aller, très attentif. Il vit (ou voulut voir) des roueries dans les distinctions, parfois subtiles, de Leblois. La vérité, sur les lèvres d’un avo-

  1. Instr. Fabre, 41, Pellieux.
  2. Ce récit de Leblois à l’instruction Fabre (120, 134, 139), est entièrement confirmé par Pellieux (138). Au procès Zola (I, 271). Pellieux chicane sur le caractère confidentiel de la communication de Leblois, mais convient qu’il répondit affirmativement à la question préalable de l’avocat. Il nie seulement le propos relatif à Picquart.
  3. Procès Zola, I, 243, 244 ; Instr. Fabre, 41, 131, Pellieux.
  4. Voir t. II, 667.