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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Je démontrai encore (ou le tentai) que le cas visé par le décret de 1878, c’était celui d’un officier qui, pour des motifs particuliers, personnels, aurait injurié un de ses chefs hiérarchiques sous les ordres duquel il avait été placé. Un officier, un soldat, rentré dans la vie civile, n’a point, hors des périodes d’activité, de supérieurs militaires[1].

Enfin, sans aborder le fond, mais pour démontrer ma bonne foi et le bien fondé de mes craintes, je donnai lecture d’une lettre que j’avais reçue le matin même de Conybeare. Il y affirmait, à nouveau, que l’État-Major français était menacé de voir publier par des journaux étrangers les fac-similés des documents qu’Esterhazy avait vendus à l’Allemagne et qui étaient de sa main. Et il ajoutait ce détail alors inconnu : « Schwarzkoppen ne niera pas qu’il donnait une mensualité de deux mille francs à son informateur habituel, le commandant Esterhazy[2]. »

Les officiers m’écoutèrent en silence ; j’eus l’impression de parler une langue qu’ils ne comprenaient plus quand je leur dis :

Dénoncer l’écueil, ce n’est pas le faire surgir : je l’ai signalé. Savoir ce que je savais, ce dont je suis certain, et

  1. Ce fut la thèse de mon avocat, Mornard, quand je me pourvus devant le Conseil d’État contre le décret qui me révoquait. (Audience du 15 novembre 1902.) Le commissaire du gouvernement, Arrivière, abandonna l’accusation en ce qui concernait le ministre de la Guerre ; mais il soutint que le général de Pellieux, commandant la place de Paris, était mon supérieur hiérarchique, en vertu de l’article 49 du règlement du 16 juin 1897 : « Les officiers de réserve et de l’armée territoriale dans leurs foyers sont placés pour tout ce qui concerne la police générale, la discipline, la conduite et la tenue, sous la haute autorité du général commandant la subdivision de région dans laquelle ils résident. » Le Conseil d’État adopta cette thèse et rejeta mon pourvoi.
  2. D’Oxford, le 23 juin 1898.