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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


les. Cependant, il avait voulu son procès (bien qu’il lui soit arrivé de dire qu’il n’était pas autrement venu au secours de Dreyfus injustement condamné que du peintre Manet injustement méconnu), et il l’avait aimé comme le plus beau de ses poèmes. Mais tout ce qui en était résulté, et qui n’était plus la grande affaire, l’excédait, — le tracas des petits procès accessoires, le grimoire des procédures, tant d’ennuis et de misères, le bouleversement indéfini de sa vie, si méthodique, de travailleur acharné, jusqu’à la plainte d’un colonel à la grande chancellerie pour lui enlever sa décoration[1]. Il y avait des heures où il regrettait de n’avoir pas suivi le conseil de Duclaux, de ne pas s’être constitué prisonnier. On l’eût glorifié davantage et il écrirait, dans le bon silence de sa cellule, un autre roman[2].

VI

La nouvelle Chambre se réunit le 1er juin et, tout de suite, le petit groupe des nationalistes et des antisémites, compact et résolu, en fut le maître, sans même parler, rien qu’à porter ses voix à droite ou à gauche. Dès la première séance, après le discours du président d’âge, Drumont et ses amis poussèrent leur cri de guerre : « À bas les juifs[3] ! »

  1. Plainte du colonel Perrossier, en son nom et au nom d’anciens militaires membres de la Légion d’honneur. Le duc d’Auerstædt s’empressa de répondre que leur plainte serait soumise au Conseil (1er juin 1898).
  2. C’est ce qu’il me dit à maintes reprises : « J’aurais fait, tous les matins, une heure de bicyclette dans la cour et j’aurais travaillé le reste du temps. »
  3. Séance du 1er juin 1898.