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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


concours de quelques amis, Quillard, Morhardt, Psichari, heureux de payer de leur personne pour une si noble cause, chaque fois que le nom de Picquart était prononcé, les revisionnistes, dans la belle griserie de la bataille, l’acclamaient comme le Siegfried moderne qui avait entrepris de délivrer la Walkyrie endormie. Pour lui, s’il n’était pas insensible à cette popularité naissante, il en réprouvait alors les exagérations, évitait le bruit, soit modestie, soit fierté, et vivait chez lui, très simplement, entouré de ses livres, réfléchissant beaucoup et dégageant peu à peu du soldat résigné qu’il avait été, un autre Picquart que le premier n’eût pas reconnu et qui ne se connaissait pas encore lui-même. Il résista à ceux qui l’eussent voulu entraîner dans les rares salons qui s’étaient enflammés pour le martyr de l’île du Diable ; malgré sa réserve, il n’y aurait pas échappé au ridicule qui s’attache au héros du jour, vainqueur ou vaincu, que les femmes s’offrent à célébrer ou à consoler. Il fréquentait seulement quelques « intellectuels » qu’il étonnait par la variété de ses connaissances. Dans le conseil, il faisait preuve d’une extrême circonspection, d’un soin méticuleux du détail et plein d’une légitime méfiance ; il s’attendait, de ses anciens chefs, au pire.

    Edmond de Pressensé, ancien représentant de la Seine, sénateur et membre de l’Institut, et avait professé, jusqu’en 1898, les opinions les plus modérées : « La République ne sera vraiment intangible que le jour où elle aura laissé les ralliés la gouverner. » (Revue des Deux Mondes, 15 février 1897.) Dans son livre sur le Cardinal Manning, il inclinait au catholicisme, « au remède du christianisme surnaturel » et déplorait « la contagion du rationalisme moderne ». Il s’est expliqué, à plusieurs reprises, avec une grande franchise, sur les causes profondes de son évolution au socialisme ; ce fut l’attitude de l’Église, « sauf quelques exceptions admirables », et des partis conservateurs pendant l’Affaire qui l’édifia : « J’avais rêvé. Le bruit de la bataille m’a réveillé. J’y ai couru. » (Aurore du 27 juillet 1901.)