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LA CHUTE DE MÉLINE


naliste que, « s’il tombait dans un guet-apens, il saurait se défendre, mais il n’oublierait pas que son devoir était de respecter la vie d’Esterhazy » ; « cet homme appartient à la justice du pays et je serais coupable de l’y soustraire[1] ».

Le bandit, à la façon des bravi d’autrefois, attendit une occasion favorable. Un mois plus tard[2], ayant rencontré Picquart, il se précipita pour l’assommer, par derrière. Il était accompagné d’un maréchal des logis de dragons et armé d’un énorme gourdin. Picquart se retourna, frappa à son tour, fit rouler le chapeau de son assaillant dans le ruisseau et appela la police ; Esterhazy prit la fuite[3].

Une telle ignominie, les vilenies dont les journaux « patriotes » et « religieux » l’abreuvaient, la haine féroce de ses anciens compagnons d’armes, surtout son calme dans l’épreuve, une sérénité souriante de philosophe, accrurent les sympathies qui, du premier jour où il parut sur la scène du drame, étaient allées vers Picquart. À la réunion constitutive de la Ligue des Droits de l’homme et du citoyen, qui fut présidée par Trarieux, assisté de Grimaux et de Duclaux ; puis, aux premières conférences qu’organisa Pressensé[4], avec le

  1. Siècle du 26 mai 1898.
  2. 3 juillet.
  3. Temps du 4 ; récits de Picquart et du cantonnier Blasy, témoin de l’incident. — L’article de Gaston Méry, dans la Libre Parole, est intitulé : « Picquart rossé par le commandant Esterhazy. » Le collaborateur de Drumont reproduit avec joie la version d’Esterhazy : « Ce fut inénarrable. Avec une voix de femme, il se mit à me dire : « Vous n’avez pas de honte ! » Il s’enfuit. J’aurais dû lui mettre mon pied quelque part. Je le frappai de nouveau à plusieurs reprises. » Autant de mots, autant de mensonges d’après le récit de Blasy.
  4. Francis Dehault de Pressensé, né à Paris en 1853, secrétaire d’ambassade, puis rédacteur au Temps, à la République française et à la Revue des Deux Mondes. Il était le fils du pasteur