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LA CHUTE DE MÉLINE


mis du grand banquier le détrompa, il fut consterné.

Il avait menacé Esterhazy de s’adresser à la justice ; pendant que sa mère se berçait encore de l’illusion qu’elle se rattraperait sur les bénéfices, qui ne pourraient manquer d’être considérables, des Mémoires sensationnels de son neveu[1], Christian se mit à la recherche d’un avocat. Le bon jeune homme allait chez Auffray, qui avait servi d’intermédiaire, en janvier, entre Esterhazy et Mme de Boulancy, quand il rencontra un de ses amis[2] qui était revisionniste et qui, l’ayant chapitré, le mena, quelques jours après, chez Labori. Et il raconta toute sa mésaventure, non seulement la flibusterie dont il était victime, mais toute la collusion, dont il avait été témoin, entre Esterhazy et l’État-Major, ses propres rendez-vous nocturnes avec Du Paty, les faux télégrammes, ce qu’il savait de la fable de la dame voilée dont il avait écrit lui-même les lettres, le compagnonnage de Pellieux et du misérable. Il remit, en outre, à Labori, un paquet de lettres d’Esterhazy et l’autorisa à répéter ses confidences à Mathieu Dreyfus ; puis, le lendemain, il fit le même récit à Trarieux. Le sénateur, qui n’était pas tenu par le secret professionnel, informa Zola, Leblois, Picquart et moi[3].

Ainsi, tout ce que nous supposions, tout ce que le bon sens indiquait comme la seule explication possible du pitoyable roman que l’État-Major avait accrédité, tout

  1. Christian, sur l’avis de sa mère, écrivit dans la soirée à Esterhazy : « Après réflexion, nous acceptons ce que vous avez proposé, c’est-à-dire de parler à notre notaire qui prendra avec vous les engagements… etc. »
  2. Herbin, avocat à la Cour d’appel.
  3. Souvenirs de Mathieu Dreyfus. — Christian dit qu’il fit son récit à Trarieux « comme au sénateur de son département » (la Gironde). — Cass., I, 232, Bertulus : 101, Roget ; et Christian, dép. du 8 juillet 1898.