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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


dupés, et se proposait d’exploiter la peur de ces pauvres gens, comme il avait abusé de leur crédulité, mais sans réfléchir que la passion de l’argent, qui abêtit les plus intelligents, donne parfois aux plus timorés quelque chose qui ressemble à du courage.

Christian, en effet, lui répondit par une mise en demeure catégorique, partit pour Paris avec sa mère et se rendit, au débotté, chez la fille Pays[1]. Esterhazy, « jouant avec un poignard », ne chercha plus à nier : « Il n’y a rien chez Rothschild ; si tu as cru à cette histoire, tu n’es pas fort ; si tu portes plainte contre moi, je fais une plainte contre vous pour usure. » Puis, comme Christian n’en croyait pas ses oreilles, il essaya, une dernière fois, selon la formule qu’il lui avait naguère prêchée, « de le mettre dedans » : « Si vous voulez me laisser du temps, je vous rembourserai jusqu’au dernier sou, avec intérêt de 5 pour 100, sur les sommes qui me reviendront de mes Mémoires. » Et il montrait un traité où figuraient les signatures de deux collaborateurs de Drumont[2]. Mais Christian ayant répondu qu’il allait consulter un homme de loi : « Eh bien, merde ! je me tue ce soir[3] ! »

Christian, qui commençait à se former, ne s’effraya pas ; mais la perte de son argent lui parut un si extraordinaire désastre qu’il refusait encore d’y croire. Il se raccrocha à cette pensée que les fonds étaient bien chez Rothschild et que le projet de son cousin était seulement de se les approprier pour un temps, « en attendant les versements de son éditeur[4] ». Quand un com-

  1. 23 avril 1898.
  2. Gaston Méry et Boisandré. — L’éditeur Fayard lui remit 5.000 francs d’avance. (Cass., II, 183. Esterhazy.)
  3. Mémoire, 84.
  4. Ibid., 85.