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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


en conséquence[1]. Mathieu Dreyfus sera simplement mis en demeure de fournir la preuve de son accusation[2]. S’il n’apporte aucune autre preuve que l’écriture, Pellieux alléguera aussitôt, dans un rapport sommaire, qu’un jugement a attribué le bordereau à Dreyfus et que, « ce jugement ayant gardé toute la force de la chose jugée », il n’est pas possible, par respect de la loi, de procéder à une nouvelle expertise[3]. Dès lors, il n’y a pas lieu de suivre.

Pellieux, Alsacien d’origine[4]. était de belle taille, l’air et le port élégants, le visage agréable, la parole facile, le son de voix énergique, d’accès prévenant, avec de la grâce dans les manières, l’œil doux, mais le regard fuyant qui savait devenir dur, l’allure souple et inquiétante. Il se piquait d’esprit et d’honneur ; mais ses deux grandes passions, la religieuse et la militaire, l’emportèrent à des actes indignes d’un officier et d’un galant homme.

Il avait connu Esterhazy en Tunisie et le tenait « pour

  1. Cela est avoué par Pellieux : « Le 16 novembre, je reçus du gouverneur de Paris l’ordre de faire une enquête purement militaire… Je fis venir M. Mathieu Dreyfus, il ne m’apporta aucune preuve d’aucune espèce, rien que des allégations. En réalité, mon enquête était virtuellement terminée… Mon rapport a été remis le 20… Mais il paraît qu’il y avait eu erreur ou confusion, et que l’intention du ministre était que l’enquête que je devais faire fût une enquête judiciaire. » (Procès Zola, I, 244.)
  2. Procès Zola, I, 242. 243, 336, 337, Pellieux.
  3. C’est ce que Pellieux dit à Scheurer et, textuellement, à Picquart au cours de la seconde enquête judiciaire : « Je ne puis vous permettre d’entamer la discussion sur la possibilité de la confection matérielle du bordereau par Esterhazy, ce bordereau, à la suite du jugement, ayant été attribué à Dreyfus, et cette question ayant l’autorité de la chose jugée. » (Enquête, 27 novembre, cote 20, procès-verbal signé : Pellieux. Ducassé (greffier), Picquart.) Il tint le même discours à Leblois qui protesta vivement, le 29 novembre. (Procès Zola, I, 273, Pellieux.)
  4. Né à Strasbourg, le 6 septembre 1842.