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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


que le faux appelle le faux ; mais le goût n’y était plus et il tressaillait à chaque fois qu’il entendait parler d’une forgerie. Claretie ayant raconté dans un journal qu’un escroc italien lui avait vendu de fausses lettres du prince Léopold de Hohenzollern[1], Henry lui envoya Valdant, aux renseignements[2]. D’autre part, Picquart, depuis qu’il avait été chassé de l’armée, n’était plus le même. Il y avait laissé sa résignation ; son courage de passif devenait actif ; pour cette stupide histoire de la photographie de Carlsruhe, n’avait-il pas tout de suite porté plainte ? Il devait suffire, pour le moment, de l’attaquer en dessous. Ce serait folie de l’attaquer en face, d’une telle accusation, d’étendre aussi démesurément le champ de bataille. Et, bien plus, la sagesse, pour Henry, c’était de s’en aller. Maintenant que le dossier des faux était officiellement reconstitué, sous la haute direction de Gonse et avec la collaboration de Du Paty, il n’avait plus rien à faire au ministère. Il dit, en conséquence, à Boisdeffre[3] que sa santé d’homme d’action et de forte vie, de paysan accoutumé au grand air, déclinait dans l’atmosphère des bureaux, qu’il en avait assez, après cinq années, de ce métier de rond-de-cuir et de gratte-papier, et qu’il demandait à rentrer dans un régiment. « Et qui vous remplacera ? — Du Paty[4]. »

  1. Figaro du 16 mai 1898. — Je fis cette observation dans le Siècle : « Du piège où est tombé M. Claretie, concluez à la profondeur de ceux où tombent quotidiennement certains personnages du ministère de la Guerre. ».
  2. Jules Claretie, La Vie à Paris, 1898, ch. XX, in fine.
  3. Juin 1898.
  4. Instr. Tavernier, 17 juin 1899, Du Paty ; 10 et 12 juillet, Gonse et Boisdeffre. Ces deux dépositions ayant été communiquées à Du Paty : « Je constate, dit-il, qu’Henry a invité ses chefs à me donner sa succession avec ce qu’elle comportait, c’est-à-dire la responsabilité des documents de la S. S., y compris le faux qu’il a commis. » (13 juillet.)