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LA CHUTE DE MÉLINE


écrites sur un grattage ». Il suffisait, pour en être sûr, de regarder le petit bleu « par transparence[1] ».

Nécessairement, le jeune général vit dans sa découverte la confirmation des soupçons de Lauth, au sujet de l’arrivée frauduleuse de la carte télégramme, et l’explication de la dépêche Blanche où « Georges » était avisé par une confidente qu’on savait qu’il avait fabriqué le petit bleu.

Quand Henry avait procédé à son grattage, c’était précisément pour en faire accuser l’accusateur d’Esterhazy. S’il avait fait envoyer la fausse dépêche par Esterhazy, c’était pour amorcer l’accusation.

Il semble que le succès de son plan aurait dû enchanter Henry. Tout au contraire, Gonse, qui n’avait pu manquer de le consulter, refusa de « tenir aucun compte » des révélations de Roget[2]. Ses yeux ne s’ouvriront, il ne verra le grattage qu’après la mort d’Henry.

Henry en avait trop fait. Nul ne le soupçonnait encore, mais il se connaissait lui-même, et la peur le tenait. S’il avait, tous ces temps-ci, fabriqué de nouveaux faux, c’est que ceux d’autrefois l’y condamnaient, parce

  1. Cass., I, 109, Roget : « — Au mois de mai 1898, j’ai constaté… » — De même, Instr. Tavernier, 1 et 12 nov. 1898 ; Rennes, I, 295, 330.
  2. Instr. Tavernier, 2 nov. 1898, Roget : « Je rendis compte au général Gonse de mes constatations ; il ne fut donné, à ce moment, aucune suite à ma communication, ni tenu aucun compte des convictions que je lui exprimais. Ce n’est que quatre mois après… » c’est-à-dire après la mort d’Henry. — Gonse, le même jour, dépose « qu’il ne s’était jamais aperçu du grattage ; il doit dire que jamais son attention n’a été appelée sur ce point ». — Roget n’a aucun intérêt à raconter qu’il a constaté le grattage dès mai 1898 ; Gonse a le plus grand intérêt à le nier. — Henry, précédemment, avait paru redouter que le « Syndicat » fût renseigné sur son compte : d’avance, il traitait de faux « un dossier Henry » que la « bande » allait faire paraître (Libre Parole des 13 et 14 mars 1898).