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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rations éclatait, les poings se crispaient, il fallait lever la séance. Je réunis à peine un millier de voix[1].

J’étais, avec Zola, le plus insulté des défenseurs de Dreyfus ; mais quiconque se fût prononcé pour la Revision, toute autre circonscription lui eût fait la même conduite.

Comme les radicaux se montraient aussi nationalistes dans leurs discours que les nationalistes, et comme les modérés cachaient à peine leur envie de rétrograder, l’offensive avait changé de camp. Le parti républicain, pour avoir abdiqué quelques-uns de ses principes essentiels et reçu son mot d’ordre de ses ennemis dans une telle affaire, parut, et fut en effet, paralysé. On connaît l’histoire de cet homme qui vendit son ombre au diable. Les républicains, de même, avaient vendu leur ombre, — peu de chose, rien que la poésie, l’Idéal de la République.

Marché de dupe, et pour tous. Les socialistes ont voulu ménager Drumont ; les antisémites les cernent de toutes parts, débauchent leurs troupes. Les radicaux se sont flattés d’apaiser la démocratie césarienne ; elle grandit à leurs dépens. Les modérés ont entrepris de concilier les conservateurs ; maintenant, « le minimum de concessions réelles et tangibles » que réclament les cléricaux, c’est le silence sur « les lois intangibles, c’est-à-dire sectaires » ; le comité Justice-Égalité donne pour consigne d’« exclure impitoyablement tout candidat qui fera des déclarations en faveur de ces lois ». Au scrutin de ballottage, il demandera des garanties effectives, l’engagement écrit[2], et, partout où il

  1. Exactement 1213. J’avais été élu, en 1889, par 5.845 voix et réélu, en 1893, par 7.160.
  2. Circulaire du Comité Justice-Égalité. — Procès, 59, 60, scellés de Moulins, etc. ; Œuvre électorale, bulletin du Comité du 12 mai 1898.