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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES

Le mot de « nationalistes » entra, vers cette époque, dans le vocabulaire politique pour désigner les acteurs de cette vieille pièce, remise sur l’affiche. Le mot est de Georges Thiébaud. L’an d’avant, il avait exposé à un journaliste juif un programme d’action commune « contre le péril protestant qui se lie au danger allemand ; nous appellerions cela les idées nationalistes[1] ».

Mot très habile, qui sonnait bien, commode pour cacher ce qu’on était vraiment. Nombre de cléricaux prirent aussitôt ce pseudonyme, et, surtout, les patriotes de profession, les césariens, les anciens boulangistes, les bonapartistes mécontents de l’attitude réservée de leur silencieux prétendant. L’autre prétendant, le duc d’Orléans, eût voulu que ses amis marchassent au combat avec son drapeau ; à chaque occasion, il s’était manifesté, discourant, écrivant des lettres publiques, protestant que l’armée, menacée dans son honneur, et le pays, déchiré par les partis révolutionnaires et par les cosmopolites, n’avaient d’autre salut que la monarchie. Un jeune écrivain, d’un talent robuste, dialecticien effronté, plein d’idées et de sève, Charles Maurras, découvrira plus tard que « la monarchie, c’est le nationalisme intégral[2] ». Mais, alors, il n’avait pas encore fait cette trouvaille. La Révolution n’a pas créé le patriotisme ; elle l’a « dissocié » seulement de l’idée monarchiste[3]. L’essentiel était de l’y associer à nouveau. On obtint du duc d’Orléans qu’il donnât licence à ses partisans de s’affubler de l’équivoque co-

  1. Lettre du 25 mars 1897 à Maurice Schwob, directeur du Phare de la Loire, à Nantes. Schwob repoussa les propositions de Thiébaud, dont il publia la lettre (Aurore du 4 février 1898).
  2. Dans une série d’articles de la Gazette de France, janvier-mars 1899.
  3. Vandal, Avènement de Bonaparte, I, 62.
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