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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


exigent plus d’intelligence. Maintenant, après un quart de siècle de République, les cadres de l’armée étaient aux mains de cette jeunesse élevée, façonnée par les Jésuites. Les républicains y étaient à l’état d’exception. Les plus roturiers affectaient des passions réactionnaires pour se faire bien voir de leurs camarades riches, des chefs, et, pour être reçus dans les salons, fréquentaient les églises.

Gambetta, par son prestige personnel, amoureux de l’armée à qui il promettait la Revanche, sachant lui parler et très au fait des questions militaires, imposait aux chefs. À sa mort, comme les intransigeants se réjouissaient, un révolutionnaire, de l’espèce qui est perspicace[1], s’écria : « Les imbéciles, ils ne voient pas que les généraux sont délivrés ! » La plupart des officiers furent de cœur avec Boulanger ; hors quelques esprits réfléchis, qui restèrent silencieux, tous se prononcèrent avec colère contre la Revision, se précipitèrent sur cette occasion de réagir contre la démocratie.

Nul prétexte ne pouvait être pire que cette question de justice. Armée et nation sont aujourd’hui frappées d’une même cécité ; demain, quand il sera éclairé, le peuple, oublieux qu’il a été aveugle, ne pardonnera pas aux chefs de l’avoir été, réagira contre l’institution militaire.

Pour l’instant, l’armée n’avait jamais été plus populaire ni plus adulée par les partis. On ne parlait, par une étrange interversion des rôles, que de la défendre. Dès qu’un régiment débouchait, les passants couraient, comme à son secours, pour l’acclamer. Pellieux multipliait les occasions de se faire applaudir.

Ce militarisme n’avait rien, d’ailleurs, de belliqueux.

  1. Lissagaray. — Il tint le propos à Ranc.