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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


mois, le grand cloaque de Drumont vomissait toujours les mêmes mots : traître, infâme, vendu[1]. Nulle autre variante que les noms des diffamés. C’était le tour des magistrats de la Cour de cassation, eux aussi « aux ordres de la haute et basse juiverie », « scélérats et faussaires », « en révolte contre l’armée », le « juif allemand » Lœw (qui n’était qu’alsacien et protestant), « l’immonde Manau[2] ».

Méline fut consterné ; tout était à recommencer, et, cette fois, dans une arène déblayée de barrières.

Le coup, à la veille des élections, lui fut d’autant plus pénible. Cet homme, si froid d’apparence, et qui, dans le mal comme dans le bien, avait montré tant de résolution, ne réussit pas à cacher son dépit[3]. S’il n’alla pas, comme Billot, jusqu’à traiter de « révolution » ce triomphe passager de la loi, il critiqua avec amertume la théorie de la Cour de cassation et « regretta, blâma les phrases malheureuses » de Manau. Les députés (deux anciens boulangistes) qui l’interpellaient dirent que le langage du Procureur général avait été « indigne ». Brisson se réveilla pour déclarer que « toute la vie de ce magistrat avait été consacrée à la défense du Droit ». Méline, baissant la tête, promit que « le Gou-

  1. C’est ce que Michelet observe de Marat. (Révolution, II, 127.)
  2. Dans les conversations, on prononçait son nom à l’allemande : Manaùh. — Cassagnac rivalisa de violence avec Drumont : « L’infamie est accomplie dans toute son abomination… L’armée est éclaboussée… L’immonde crachat de Zola, des juifs et des sans-patrie… » — Mêmes fureurs chez Rochefort, Millevoye, Judet, qui fréquentait assidûment chez Hanotaux, Pollonais, qui venait d’être décoré par Barthou.
  3. Chambre des Députés, séance du 2 avril 1898, interpellation de Marcel Habert et Albert Chiche « sur les suites que le Gouvernement compte donner à l’arrêt rendu par la Cour de cassation ».