Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
552
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


ment condamné, la sentence doit être brisée[1]. »

Il dit cela très fortement, et aussi son estime pour les promoteurs de la Revision, « ni des vendus ni des traîtres, mais l’honneur du pays », et son dégoût des fureurs antisémites. « Ces scènes abominables, indignes de la France du xixe siècle, sont un outrage aux précurseurs de la Révolution, à Voltaire, émancipateur de la pensée humaine ». Enfin, ayant assisté à toutes les audiences du procès de Zola, il avait gardé une impression profonde de la scène culminante du drame, quand Esterhazy resta muet sous le questionnaire d’Albert Clemenceau, et il envisagea l’hypothèse où le misérable avouerait son crime. Bien plus, il l’y convia, l’assurant de l’impunité. Par deux fois, il y revint. Et, visiblement, c’était son espoir que l’affaire finirait ainsi. Il ne souhaitait pas de « nouveaux procès fiévreux » : il doit suffire aux officiers qui ont acquitté Esterhazy d’avoir fait une fois condamner Zola ; les amis de Dreyfus, si les débats doivent se rouvrir, pèseront leurs paroles et « auront pitié de la France ». Pour les juges qui l’écoutaient, il leur rappela seulement le vieux précepte biblique[2] : « Tu ne suivras pas la multitude pour faire le mal, et, lorsque tu prononceras dans un procès, tu ne te détermineras point, pour suivre le plus grand nombre jusqu’à pervertir le droit[3]. »

Ce qui eût surpris en d’autres temps, c’est qu’un autre langage fût tombé du plus haut siège de la magistrature. Il parut alors séditieux. La Chambre criminelle ayant remis son arrêt au surlendemain, Billot, en plein Sénat, essaya de circonvenir le premier président Ma-

  1. Procès Zola, II. 478, Manau : « Si cela était vrai, il n’est pas douteux que la décision serait frappée d’une nullité radicale. »
  2. Exode, chap. XXIII, verset 11.
  3. Procès Zola, II, 475, 480, 506, 508.