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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Dieu[1], — c’est-à-dire du prêtre, — le règne du Christ.

C’est ce que dit expressément son plus magnifique orateur, de Mun, dans son discours de réception à l’Académie : « que la Révolution était mourante, déjà au tombeau ; que son œuvre économique avait vécu ; que la liberté, son œuvre politique, est incompatible avec tout ce qui fait la force des nations. » Dix fois il y revint, d’un ton hautain et triomphal, l’un des grands vainqueurs du jour, encore chaud des applaudissements républicains aux fameuses séances où il exigea les poursuites contre Zola et incarna l’honneur de l’armée dans les protecteurs d’Esterhazy. De fait, il continuait seulement ses harangues d’hier, leur donnait leur conclusion logique, en conviant le siècle finissant aux obsèques de la Révolution. Il la détestait depuis longtemps. Il a raconté lui-même qu’étant prisonnier à Aix-la-Chapelle, après la capitulation de Metz, « Dieu lui avait donné le livre » qui, commenté par un jésuite allemand, le R. P. Eck, avait dessillé ses yeux[2]. Ainsi, sans la trahison de Bazaine et sans l’intervention « providentielle » d’un moine prussien, le cuirassier français aurait toujours ignoré que « la Révolution est la cause et l’origine de tous les maux » du siècle. Peu après, il quittait l’armée pour mieux combattre « cette fille de la Réforme et de l’En-

  1. L’État mis à la place de Dieu et l’ordre légal substitué à l’ordre divin, voilà l’état social que la Révolution nous a fait. » (De Mun, Discours, I, 94.)
  2. « Ils avaient peu de livres (lui-même et l’un de ses compagnons de captivité) ; mais Dieu leur avait donné celui qui leur convenait. » (Discours, I, 5.) — Le livre était la brochure d’Émile Keller sur l’Encyclique et les principes de 1789. — « Leurs yeux s’ouvrirent et leur foi fut fixée. Un vénérable religieux d’Aix-la-Chapelle, où ils étaient internés, le R. P. Eck, de la Compagnie de Jésus, dirigeait leurs études et, consolant leur patriotisme par l’espoir des révolutions prochaines, préparait leurs âmes aux luttes du lendemain. » (Ibid., I, 6.)