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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pensée de ses promoteurs, que la torche pour allumer un plus grand feu.

Cette crainte d’un plus grand incendie, d’un autodafé où d’autres figureraient que les juifs, ne fut nullement étrangère à l’irritation croissante des peuples et des esprits libres contre la France. Ils se fâchaient que ce grand pays trompé les prît pour des ennemis, alors qu’ils étaient, pour la plupart, des admirateurs de l’âme française. Et ils s’effrayaient surtout de l’exemple donné aux vieilles forces rétrogrades et brutales par cette politique oppressive de la justice et par tant de haines qu’ils redoutaient, non sans raison, comme « des maladies contagieuses[1] ».

IV

Le temps marchait très vite ; à l’origine, les antisémites avaient été seuls à comprendre quel profit il y avait à tirer de ce capitaine juif accusé de trahison ; les partis de réaction répugnèrent d’abord à exploiter un crime individuel ; ils s’y décidèrent quand le crime fut devenu douteux ; et, presque aussitôt, leur mouvement se dessina en plein, d’une offensive singulièrement hardie, non pas seulement contre une race ou contre une religion, mais contre les principes de 1789 et la société moderne.

On avait cru, depuis cent ans, que ces principes

    de la nation française. » (10 mars 1898.) De même Zakrewski : « Cette affaire a montré quels bas instincts de bêtes fauves recèle la foule ignare dans ce pays qui devrait marcher à la tête de la civilisation. »

  1. Lettre de Björnson, du 23 avril, à Zola.