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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


regretta ensuite, devant ses protestations indignées, de lui avoir fait de la peine[1], mais conclut finalement qu’il ne s’était pas trompé.

Par surcroît de précaution, Henry excita Esterhazy contre Du Paty. Il y avait des jours où Esterhazy se divertissait à faire peur à Henry lui-même ; récemment encore, il avait repris Pellieux au sujet de la lettre de Panizzardi, contestant l’argument « qu’il n’y avait que l’ambassade d’Italie qui eût un papier comme cela[2] ». Il était homme, dans un accès de colère, à raconter à Du Paty la véridique histoire du document libérateur ou celle des télégrammes. Henry, en conséquence, prit les devants, confia à Esterhazy que le marquis tenait sur son compte de fâcheux propos. Du Paty, ayant revu peu après Esterhazy, eut l’impression « qu’Henry le lançait contre lui[3] ».

Henry n’avait pas beaucoup de tours dans son sac, mais ils étaient bons. De plus, il savait y apporter des variantes. Il avait diffamé Picquart à la fois auprès des chefs et des subalternes ; ayant perfectionné son jeu, il ne noircit Du Paty, à la réflexion, qu’auprès des camarades. Le coup qu’il avait tenté auprès de Gonse ayant raté, il avait adopté une autre tactique plus savante. Pendant qu’il créait, en bas, une atmosphère de méfiance[4], il vantait en haut les belles qualités de Du Paty, son intelligence si affinée, son impassibilité de soldat loyal sous les outrages, et il préparait le moment

  1. Cass., II, 25, Cuignet.
  2. Dép. à Londres, 26 février 1900.
  3. Cass., I, 445, Du Paty (avril 1898).
  4. Ibid. : « Chaque fois que j’insistais sur les soupçons que j’avais sur cette pièce, de nouvelles et inexplicables difficultés surgissaient autour de moi. »