Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/534

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
528
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

La première fois que Du Paty parla ainsi devant Henry, celui-ci n’a put tenir. Le lendemain ou le surlendemain, comme Marguerite Pays, chez qui il était en visite, lui dit qu’on n’avait commis qu’une seule faute — les fameuses dépêches,[1] — Henry joua d’abord la comédie de n’y rien comprendre[2] ; il courut ensuite raconter cette histoire à Gonse et à un autre officier supérieur qui brouillonnait, depuis quelque temps, autour de l’affaire, le général Roget[3]. Gonse et Roget avaient cru jusque-là que les dépêches venaient des amis de Picquart. Gonse, surtout, s’émut et manda par télégramme Du Paty qui se trouvait à Angoulême. Du Paty n’eut nul soupçon d’où venait le coup et certifia, dans une note signée, qu’il était absolument étranger à ces affaires[4] la maîtresse d’Esterhazy était une drôlesse qui parlait au hasard.

Il était écrit qu’Henry se reposerait seulement dans la mort. Et, d’un nouveau coup de collier, il se remit à l’œuvre, recommençant contre Du Paty le même travail de taupe qui lui avait réussi contre Picquart. L’un après l’autre, il entreprit d’exciter les subalternes contre l’imbécile aristocrate, le seul auteur des maladresses qui avaient failli tout compromettre et qu’ex-

  1. Cass., II, 231, Christian Esterhazy, (Enq. Bertulus).
  2. « Mlle Pays, avec l’intelligence qui la caractérise, comprit qu’elle avait « gaffé » et, très habilement, embrouilla si bien les choses qu’Henry finit par n’y plus rien comprendre. » (Cass., II, 231, Christian.)
  3. Cass., I, 625, Roget : « Je suis le premier auquel Henry avait rendu compte, immédiatement après cette entrevue. » — Esterhazy, à l’enquête Bertulus, dément l’anecdote (II, 246) ; dans sa déposition à Londres, il la confirme. (26 février 1901.) Henry, à l’enquête, la confirme le 18 juillet 1898 et la dément le 26.
  4. Cass., I, 567, Gonse : I. 626, Roget. — Ce démenti de Du Paty est du 5 mars 1898, soit sept jours après la conversation où il avait dit à Henry que la pièce était apocryphe.