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MORT DE LEMERCIER-PICARD


sur Bertulus ; parce que l’homme n’était pas pédant, il l’avait cru sans scrupules ; en conséquence, il avait rabattu vers son cabinet toutes les affaires connexes à la grande affaire ; on les réglerait en famille.

Par malheur, le juge était sagace, avisé, trop intelligent pour consentir à des complaisances où il se serait d’abord déshonoré, puis perdu, quand l’évidence éclaterait. Dès sa première enquête, il découvrit jusqu’où la passion et la haine peuvent entraîner des soldats. Gonse lui avait affirmé, et avait trouvé des témoins[1] pour attester que les frères de Dreyfus avaient tenté de corrompre Sandherr ; Lauth, Junck, juraient qu’ils le savaient de lui-même. Or, Sandherr avait écrit de sa propre main le récit de son entrevue avec Mathieu et Léon Dreyfus[2] ; et ce récit, que Gonse connaissait, qu’il remit à Bertulus, démentait si formellement toutes ces inventions posthumes que rien n’en restait, sauf l’effrayante certitude d’une détestable et stupide manœuvre[3], L’affaire Lemercier-Picard, que la mort subite du faussaire l’obligea à terminer également par un non-lieu[4], accrut ses soupçons. Dans l’affaire de Mme de Boulancy, qu’il confronta à plusieurs reprises avec Esterhazy, il avait arraché un demi-aveu au misérable[5], et c’était un troisième non-lieu qu’il allait

  1. Cass., II. 283, Marthe Bligny, veuve Sandherr ; 284, 285, 304, Stackler, Thesmas, Pénot. — Voir p. 163.
  2. Cass., II, 280, note du colonel Sandherr.
  3. Arrêt de non-lieu du 15 mars 1898.
  4. Le non-lieu fut rendu le 3 avril : « Attendu que l’origine du faux est restée inconnue. »
  5. Esterhazy, pour intimider Mme de Boulancy, lui fit adresser, ainsi qu’à son avocat Lagasse, des lettres anonymes de menaces, que Christian se chargea d’expédier. (Cass., II, 232, 251, Christian ; Mémoire, 71.) — Cass., II. 249. Esterhazy : « Je reconnais avoir adressé à Christian le projet de lettre anonyme qu’il a ensuite adressé à un candidat à la députation, Me Lagasse. »