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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


rez-de-chaussée d’un hôtel meublé de la rue de Sèvres[1]. « Il avait de l’argent et paraissait content[2]. »

Les crimes qu’il avait connus le protégeaient. Se sachant introuvable, puisque la police avait reçu l’ordre de ne pas le trouver, il ne se cachait pas, allait et venait toute la journée, se faisait adresser ses lettres au bureau restant de la Chambre des députés[3]. Pourtant, il rentrait toujours avant la nuit[4]. Mais Henry n’avait pas moins peur de lui et, parce qu’il le craignait, il le haïssait.

Henry n’avait pas attendu cette aventure pour se convaincre qu’un bandit, qui détient un secret et qui en trafique bribe par bribe, est un gouffre insondable. D’ailleurs, où trouver toujours de nouvelles sommes ? Rochefort n’était pas donnant et fût vite devenu soupçonneux. Pour les fonds secrets de la Guerre, où de larges saignées avaient été pratiquées au profit des journaux, il y prélevait certainement la part de sa police personnelle. Mais tout son commerce avec Lemercier-Picard était resté inconnu des grands chefs. Henry avait des intérêts communs avec Boisdeffre et Gonse ; il avait, aussi, d’autres affaires.

Apparemment, Lemercier-Picard le harcela alors avec l’audace des maîtres-chanteurs qui ont obtenu un premier succès. Quand il s’offrit à Séverine, le lendemain de la fameuse audience où fut divulgué le faux qu’il avait fabriqué, c’est l’évidence qu’il menaça Henry de révéler leur crime, si son complice ne lui payait pas son

  1. Au n° 141, hôtel de la Manche. Il s’y inscrivit sous le nom de Lucien Roberty.
  2. Instr. Bertulus, 5 mars 1898, Léontine Le Bonniec.
  3. Voir p. 494.
  4. Instr. Bertulus, 5 mars 1898, Léontine Le Bonniec.