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LE JURY


lui-même ? » Il déclara qu’il lui fallait « des idées et non pas des sonorités ».

Il s’éleva, dans le domaine des idées, jusqu’à cette formule : « Dans les pays civilisés, il n’est pas permis de tomber à l’anarchie judiciaire. »

Les militaires, les « patriotes », avec Déroulède, venus pour le soutenir, furent consternés. Nul discours plus terne, sans un cri, sans même un geste, sans rien qui trahît la passion ou la conviction, quelque chose de morne et de filandreux qui coulait, « une pluie qui tombe, une pluie d’hiver, monotone et froide, sans un éclair[1] ». Même quand il malmena Zola, « qui n’a cherché, dans tout cela, que de la réclame », et quand il railla « l’étrange maladie intellectuelle des revisionnistes », il y mit si peu d’accent, une telle mollesse, un si manifeste dégoût de sa besogne que les défenseurs d’Esterhazy en devinrent soupçonneux[2]. Il paraissait s’ennuyer lui-même autant qu’il ennuyait les auditeurs. Les revisionnistes observèrent qu’il n’est pas possible d’étayer des absurdités autrement que par des sottises[3].

D’un même aphorisme banal, et platement dit, il tirait des conclusions contradictoires. « Vous savez combien il faut être sûr de l’origine des documents pour qu’ils puissent avoir une portée sérieuse ! » En conséquence, il repoussait les expertises qui n’avaient pas été faites sur l’original du bordereau, mais il proclamait l’authenticité du faux d’Henry, de source inconnue. Certaines conclusions étaient si niaises qu’elles en semblaient ironiques. Après avoir rappelé, en détail, les déclarations de Billot sur Dreyfus justement et légale-

  1. Libre Parole du 22 février 1898. — De même, Séverine, dans la Fronde : « Un dégoulinement de gouttière sous le ciel gris. »
  2. Gaulois, Autorité, Libre Parole, Patrie.
  3. Siècle, Aurore, Radical.