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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


quoi il était accusé ; il n’a donc pas été jugé ; la revision de son procès s’impose par la force de la loi[1]. »

XVI

Chacun des jurés reçut, le matin du 21 février, une lettre anonyme ; avec la promesse d’une somme de dix mille francs si Zola était acquitté[2].

Le réquisitoire de Van Cassel, qu’il lut d’une voix monotone et languissante, débuta par cette définition de Zola : « Un homme qui est l’auteur de nombreux romans et s’est fait une notoriété… » Cet homme avait « craché une injure sanglante à la face de la France dont l’honneur est indivisible ». A-t-il apporté l’ordre donné aux juges d’acquitter Esterhazy ? « L’ordre, où est l’ordre de juger ? » On ne l’a pas montré. Après avoir crié cette « infamie », les prévenus n’ont pas même essayé de la prouver. Donc, le verdict du jury « doit proclamer leur mensonge ».

Ce fut toute la thèse de l’avocat général qu’il ne chercha pas à relever par l’éloquence. Il dira, en parlant de cette crainte des soldats factieux qui hante les démocraties : « Qui pourrait soutenir dans ce pays qu’il y a un seul homme revêtu de l’uniforme qui veuille attenter à la République, puisque, lorsqu’il s’en est présenté un seul, il lui est arrivé ceci : c’est qu’il a dû se réfugier dans le suicide et se faire disparaître

  1. Zuriditcheskaya Gazeta du 15 février 1898. — Le 18, le Syne Ottetchesnov écrivait : » L’affaire Dreyfus résume et symbolise la décadence de ce peuple, jadis grand, aujourd’hui hypnotisé par la terreur de la vérité. »
  2. Récit du chef du jury (Dutrieux) à un rédacteur du Matin (26 février), d’un autre juré à un rédacteur du Radical, etc.