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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


et Hanotaux l’appuya : Boisdeffre, c’était l’alliance russe.

Jaurès, le jour du pronunciamento de Boisdeffre, s’était précipité dans les couloirs de la Chambre : « Ce qui se passe est monstrueux ; jamais la République n’a couru un pareil danger. La domination militaire s’affirme avec un incroyable cynisme. La liberté de la justice est foulée aux pieds. Si on laisse faire, c’est qu’il n’y a plus ni républicains ni socialistes. » Les socialistes se réunirent, décidèrent d’abord d’interpeller, puis y renoncèrent sous la pression de quelques habiles.

Le Sénat avait donné, la veille, une grande preuve de faiblesse[1]. Il avait ajourné à un mois une interpellation signée de Thévenet, Trarieux et Scheurer sur la communication de pièces secrètes au procès de Dreyfus. Thévenet, qui voulait la discussion immédiate, fut accueilli par des murmures. La réponse ne s’était pas fait attendre. La sommation de Boisdeffre est du lendemain. Le Sabre profitait de l’impunité. Les lois n’existaient plus pour lui.

Dans les journaux, les partisans de la Revision sonnaient à toute volée la cloche d’alarme. Ranc sommait Billot d’agir : « L’anarchie bat son plein à la rue Saint-Dominique ; tout le monde y commande, y gouverne, y règne, excepté vous. » Il posait ces questions : « Y a-t-il un ministre de la Guerre ? un gouvernement civil ? y a-t-il encore à la Chambre un parti républicain ? » Je tenais, avec quelques autres, le même langage. Jaurès clamait « qu’un peuple est mûr pour la servitude qui accepte ainsi que le pouvoir militaire fasse violence à ses institutions civiles[2] ».

  1. 17 février 1898.
  2. Radical, Siècle, Lanterne, du 20.