En vain, Picquart protesta qu’il n’avait pas voulu suspecter la bonne foi de ses chefs ; certains faux sont si bien faits qu’ils peuvent avoir l’apparence de documents authentiques. Les clameurs de cent officiers, qui venaient de faire une nouvelle ovation à Pellieux, couvrirent sa voix. Il a touché à l’Arche sainte ; l’armée chasse l’officier rebelle qui, « sans preuves, poussé par un délire inexplicable, a accusé du plus abominable des crimes ceux qui ont la garde de l’honneur de la France et de ses frontières[1] ».
Ce même jour, Lemercier-Picard écrivit à Séverine, sous le nom de Durandin, que, « très étroitement lié à l’affaire qui se déroulait aux assises », il avait cru devoir, « jusqu’à présent, pour des raisons d’ordre intime, se tenir dans l’ombre ». « Mais quelques révélations, faites par des chefs de l’État-Major, le visent directement ; elles l’autorisent, par ce fait même, à lever le voile sur le rôle qu’il a joué. » En conséquence, il se rendra chez elle, dans la soirée[2].
Séverine attendit l’homme. Il ne vint pas. Deux jours après, il lui écrivit qu’effrayé « par les menaces incessantes » dont il était poursuivi, tremblant « qu’elles ne fussent mises à exécution », il s’était absenté pour déposer à l’étranger des papiers relatifs « à l’affaire Dreyfus-Esterhazy ». Il demandait un autre rendez-vous pour le lendemain. Elle l’attendit encore ; mais il ne parut point, harcelé et traqué, et jouant son double jeu, hésitant encore s’il vendrait son secret ou son silence : la révélation de son crime en avait décuplé le prix.