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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Rochefort qui déclina la rencontre « avec un infirme[1] ». Forzinetti avait été blessé à la jambe, mais était très solide. Il traita Rochefort de « lâche ».

Cependant, Boisdeffre n’avait pas accepté sans résistance la punition de Pauffin. Son entretien, à ce sujet, avec Billot tourna à une scène violente. Du vestibule, on entendit les cris des deux hommes, « des coups de poing sur la table », la tempête de leur colère[2]. Henry informa Esterhazy qui, devenu l’inséparable du beau-frère de Rochefort, fit révéler l’incident par le Jour. Exaspéré jusqu’à la déraison, Billot voulut se battre en duel avec Boisdeffre, son subordonné ; on eut de la peine à l’en dissuader. Il comprit finalement ce qu’on voulait de lui : qu’il abandonnât l’enquête à Boisdeffre, partant à Henry. Il y consentit, se consola par des phrases. Aux obsèques du général de Jessé, il compara l’armée au soleil « dont les taches, loin d’assombrir sa lumière, donnent à ses rayons une plus éclatante splendeur[3] ».

C’était le règne du chantage. D’ailleurs, les maîtres chanteurs se menaçaient entre eux. Henry tient Esterhazy, qui ne le lâche pas. Drumont se défend d’être des amis d’Esterhazy[4] ; prompt à la riposte, celui-ci l’accable ostensiblement de leur vieille intimité.

Le tumulte descendit bientôt dans la rue. Les jeunes gens des cercles catholiques, Guérin et sa bande, des

  1. Intransigeant du 21 novembre 1897.
  2. Jour (antidaté) du 21 ; Libre Parole du 23. Ces deux journaux placent la scène au 19 novembre.
  3. 26 novembre.
  4. Libre Parole du 17 : « Le commandant Esterhazy n’est pas de nos amis ; il a été le témoin de Crémieu-Foa contre moi, ce qui prouve, tout au moins, qu’il n’était pas animé de sentiments antisémites bien violents. » — Voir t. II, 55.