Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
448
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


C’était, décidément, une fatalité que, dans cette affaire, rien ne pût demeurer caché ; tout sortait.

Henry, quand Pellieux divulgua son faux, était assis à côté de Gonse[1]. Ils arrêtèrent aussitôt ce qu’il convenait de faire : tirer avantage de l’intempérance de Pellieux pour donner aux défenseurs de la chose jugée, en remplacement des vieilles armes ébréchées, un argument tout neuf et d’apparence formidable, s’abriter derrière la peur de la guerre pour refuser de montrer la pièce aux avocats.

Même prétexte qu’autrefois pour le bordereau, pour l’acte d’accusation, pour le rapport des experts, pour la déclaration de Lebrun-Renaud.

Est-ce que la parole des généraux ne suffit pas ? Pousseriez-vous l’infamie jusqu’à les accuser de faire usage d’un faux ? Quoi ! c’est la guerre que vous voulez ? Or, la guerre, pour ces patriotes d’un nouveau genre, c’est fatalement la défaite, l’invasion. Et ce peuple, en rut devant son armée, n’a qu’une terreur : la guerre, qui est le métier des armées et leur raison d’être.

Peur abjecte, mais touchante, parce qu’elle est la fille de la Défaite d’hier, et féconde, parce qu’elle sera la mère de l’Humanité pacifique de demain.

C’est ce qui fait l’importance historique des vilenies que je raconte. Les promoteurs de la Revision, qu’on dénonça alors comme les ennemis de l’armée, furent, en réalité, les derniers fidèles de l’idéal militaire et patriotique : la Revanche. Et l’armée n’a souffert que de ses défenseurs patentés, non pas tant pour quelques crimes qui ne sont pas sans précédents, que par ces appels nouveaux et

  1. Cass., I, 122, Roget : « Les scrupules d’Henry auraient dû s’éveiller alors au sujet de cette lettre. » Et ceux de Gonse et de Boisdeffre ?