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LE JURY

Les généraux sont convenus qu’ils eurent des doutes : Billot s’inquiéta du moment trop opportun où la pièce arriva au ministère, Boisdeffre d’une trop grande ressemblance avec les pièces de comparaison[1]. Surtout, Boisdeffre savait que Dreyfus était innocent.

Si Boisdeffre et Gonse, en 1896, avaient été certains du crime de Dreyfus, ils eussent essayé de détruire par des arguments l’opinion contraire de Picquart, leur favori de la veille. Ils cherchèrent seulement à le corrompre ou à l’intimider, à le faire taire, à se débarrasser de lui.

Dreyfus pouvait être coupable et la pièce fausse, car on peut forger un faux contre un coupable. Dreyfus est certainement coupable si la pièce est authentique.

La pièce d’Henry étonna les généraux, mais elle les servait. Leur donna-t-elle la certitude qui leur manquait, une demi-certitude suffisante ? Cette preuve décisive, ils ne l’ont pas montrée à Picquart : pourquoi laisser cet officier dans une telle erreur ?

Ils ne se méfiaient pas de Du Paty. Or, tout détraqué et passionné qu’il fut, dès qu’il vit la lettre, elle lui parut suspecte. Il le dit aussitôt à Gonse[2].

Pièce étrange, si probante, mais qui brûle les doigts ! Gonse n’ose pas la faire voir à Paléologue.

Pellieux, au contraire, en fut émerveillé, mais trop, s’étonna qu’on hésitât à en assommer les amis du traître.

Il eût fallu lui faire entendre que cette pièce craignait la lumière. C’eût été lui avouer qu’on ne la tenait pas pour sûre.

Maintenant, dans un accès de colère, il l’a révélée.

  1. Rennes, I. 179, Billot ; 527, Boisdeffre.
  2. Ibid., III. 505, Du Paty.