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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Nul, si ce n’est peut-être Gonse, ne songea alors à regarder Henry. Tous les autres officiers exultaient, trépignaient, dans l’ivresse et la folie du triomphe.

Les avocats, dressés à leur banc, tinrent le coup : « Qu’on apporte la pièce, qu’on nous la montre ! Un document, quel qu’il soit, ne constitue pas une preuve avant d’avoir été contradictoirement discuté. Tant que celui-ci n’aura pas été discuté, il ne comptera pas, il est sans importance. Ce ne sont pas des paroles d’hommes, quels qu’ils soient, qui donnent de la valeur à ces pièces secrètes. Apportez les pièces ou n’en parlez plus ! » Labori déclara que, désormais, de toutes façons, la Revision s’imposait : « Si Dreyfus est coupable, si la parole des généraux est fondée, ils en feront la preuve dans un débat loyal, régulier, contradictoire. S’ils se trompent, ce sont les autres qui feront la preuve… Que les coupables soient d’un côté ou de l’autre, on les flétrira. Et puis, nous nous remettrons tranquillement à nos travaux de paix ou de guerre ! »

C’était déjà beaucoup, dans une telle tempête, de ne pas accepter sans réserve la révélation de Pellieux. Cependant Scheurer, il faut le rappeler, avait été plus profondément perspicace. En juillet, quand Billot lui avait raconté la même histoire, récité le texte approximatif de cette même pièce, Scheurer, tout de suite, s’était écrié que « c’était un faux[1] ». De même Picquart, quand Billot lui parla de la lettre, avait pressenti la fourberie[2].

Quelque précautionné qu’eût été le doute de Labori, Pellieux s’étonna de l’audace. Il avait pensé que, du

  1. Voir t. II, 514. — Il l’écrivit ensuite à Ranc (lettre du 14 décembre 1897).
  2. Voir t. II, 437.