Je ne vis plus que pour me venger. Si Zola est acquitté, Paris se lèvera et moi à sa tête. Si Dreyfus remet le pied en France, il y aura 5.000 cadavres de juifs dans les rues de Paris.
Ainsi, dans son épouvante, il ne rêvait que de sang, — tout plutôt qu’être exposé à un débat public avec ces « fripouilles ». — et, selon l’expression populaire, il voyait rouge. Seulement, à son habitude, il menaçait aussi ses imbéciles et couards protecteurs qui avaient entamé ce sot procès et qui le livraient aux bêtes. Il ne succomberait pas seul.
L’État-Major était très inquiet. Un des journalistes d’Henry essaya d’émouvoir le public, de préparer, surtout parmi les officiers, un accueil favorable au traître : « Cet homme n’est plus qu’un spectre effrayant ; tout à l’heure, avec ses yeux creux, ses cheveux blancs et son dos voûté, sa pâleur mourante, il passera sans qu’une voix ait le courage de crier : « Pitié à ceux qui s’écartent[1]. »
L’avant-veille, pendant la lecture de l’interrogatoire de Mme de Boulancy, il s’était tenu obstinément dans le coin le plus sombre de la salle des témoins, mâchonnant des injures[2]. Seul, l’ancien manager de Boulanger était venu s’entretenir avec lui, cet obscur Georges Thiébaud qui cherchait toujours un homme, un soldat, pour jouer la grande pièce césarienne qu’il avait rêvée[3].
Il n’y avait guère, parmi les officiers, que Pellieux qui le traitât ouvertement avec amitié. Il avait dit à Tézenas : « Esterhazy peut être tranquille ; nous avons lié