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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


poser comme témoin ; peut-on concevoir une action plus lâche ? »

Et, grinçant des dents, arpentant comme une bête la chambre qu’il remplissait de ses hurlements, dans une de ses crises coutumières de haine » presque sadique[1] », il prophétisait « que les rues de Paris seraient jonchées de cent mille cadavres avant la conclusion de cette misérable affaire ». Le flegmatique anglais qui, le crayon à la main, n’en perdit pas un mot, avait pu mesurer à l’énormité des fureurs du bandit l’abîme de sa terreur :

Si ces gens-là avaient voulu se débarrasser de moi pour une raison quelconque, s’ils m’avaient menacé de m’assassiner, s’ils m’avaient dit : « Vous êtes de trop, un de ces jours on vous trouvera mort dans la rue, une balle dans la tête ou un couteau dans le dos », j’aurais considéré cela comme étant de bonne guerre. Mais on a recours à des intrigues souterraines pour ruiner ma carrière de soldat et perdre ma réputation de gentleman.

Ou a imité mon écriture, cambriolé ma maison, étalé au grand jour tous les détails de ma vie privée. On a cru, parce que je suis mourant, ruiné, séparé de ma femme, que je serais une proie facile.

Ils voulaient me tuer. Retenez mes paroles : c’est moi qui les tuerai ; je les tuerai comme des lapins, mais sans aucune espèce de colère ; je voudrais en tenir cent enfermés dans une chambre, avec un bâton dans ma main : je les battrais jusqu’à la mort.

Puis, après un violent accès de toux, crachant ses poumons avec ses imprécations[2] :

  1. C’est ce que Jaurès avait dit des lettres à Mme de Boulancy. (Petite République du 11 décembre 1897.)
  2. « Je n’ai plus qu’un poumon, je suis mourant. »