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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qu’on mît un innocent à la place de Dreyfus, coupable ou non. J’ai fini.

Si ce n’est point le langage de la conscience la plus tranquille, la plus sûre d’elle même, les mots n’ont plus de sens !

VI

Les avocats sentirent combien le coup avait porté ; un seul homme eût pu répondre à « l’avocat du ministère de la Guerre », c’était Picquart ; ils réclamèrent son témoignage. Or, justement, Bertulus l’avait mandé à son enquête et Delegorgue refusa de le faire chercher ; on l’entendra plus tard.

Il ne se passait pas de jour où Labori et le président des assises n’entrassent en lutte sur des questions de ce genre, au milieu des cris discordants de la salle où régnaient maintenant les officiers, témoins militaires et amis de renfort, amenés pour manifester. Mais la victoire restait toujours à Delegorgue, soit qu’il coupât par de brusques : « Finissons-en ! » les protestations des défenseurs, soit qu’il fit statuer la Cour, en quelques minutes, sur leurs conclusions. Labori en avait tant déposé qu’on l’appelait « le conclusionnaire », et il s’en amusait lui-même.

Les deux avocats supportaient, avec une ténacité inlassable, depuis neuf séances, dans une atmosphère étouffante, le poids de ces écrasants débats.

Labori dominait l’auditoire de sa grande taille. À tous moments il se redressait, se jetait en avant, avec beaucoup de gestes, allongeant le bras dans l’attitude clas-