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LE JURY


misérable[1] », payé par les Dreyfus. Le procès se fût effondré. Voilà pourquoi il avait reçu l’ordre de se taire ; il avait obéi et s’en rongeait.

Teyssonnières bouffonna à son tour, mais aussi prolixe que Bertillon avait été muet. Lui aussi, il ne croyait pas à la graphologie, « sabre de M. Prudhomme », mais, ayant appartenu à l’administration des Ponts et Chaussées et, dès lors, « se connaissant un peu en mathématiques », ayant, en outre, été « vingt-cinq fois médaillé comme artiste graveur » et « pouvant, même vues de dos, dessiner et donner la physionomie de certaines personnes », il avait inventé d’appliquer aux expertises en écritures « le principe des figures semblables, c’est-à-dire celles dont les angles sont égaux et les côtés proportionnels ». C’est par ce système qu’il avait convaincu les juges de 1894 ; « il avait lu dans leurs yeux que sa démonstration les touchait énormément ».

Il raconta ensuite ses malheurs, que le général Rau avait menacé de le faire arrêter, sans qu’il sût pourquoi, et que Crépieux-Jamin avait essayé de le corrompre, en 1897, trois ans après la condamnation de Dreyfus, en lui disant : « Votre expertise de 1894 eût pu vous rapporter cent mille francs[2]. »

Drumont célébra l’honnête homme qui n’avait pas voulu se vendre aux juifs. Il avait professé autrefois une grande admiration pour Crépieux ; depuis que le graphologue de Rouen avait refusé d’attribuer le bordereau à Dreyfus, c’était le dernier des misérables. Et, comme Crépieux de son métier était dentiste, sa pieuse clientèle l’avait abandonné, la canaille avait brisé ses carreaux ;

  1. Rennes, II, 371, Bertillon : » Esterhazy est un homme de paille : c’est un misérable, et je l’ai dit depuis le commencement. »
  2. Procès Zola, I. 445 et suiv., Teyssonnières.