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LE JURY


sa démonstration (qui, d’ailleurs, eût demandé plusieurs séances), et il ne parlerait pas davantage du diagramme. Il s’était décidé, en effet, « à s’abriter à l’avenir derrière l’arrêt de la Cour qui défend de parler de l’affaire Dreyfus ».

Delegorgue lui-même trouva que Bertillon exagérait : « On vous demande si vous avez des pièces ? — C’est reparler de l’Affaire. — Dans le cas où il y aurait un autre traître, vous serviriez-vous du même système ? — Cela a rapport à l’Affaire. » Et dix fois il fit la même réponse, accusant les avocats de le « tourmenter » ; et, tantôt il secouait la barre, tantôt il levait les bras au ciel ; surtout, comme le personnage de la comédie, il aurait bien voulu s’en aller.

Les avocats prolongèrent à plaisir cette pitoyable exhibition, afin qu’on vît bien à quels maniaques Dreyfus avait été livré, à Du Paty, puis à Bertillon.

Un rictus tordait son masque de faux savant ; il sentait que son refus de s’expliquer, après avoir promis tant de merveilles, le couvrait de honte ; pourtant, il s’obstina, bien que blessé cruellement dans son amour-propre. Comme tous les fous, il croyait à son système. Il essaya de donner à entendre que sa démonstration eût été trop terrible : « J’éprouve des bouillonnements intérieurs… Comprenez donc que ma situation est pénible ! » Le président traduisit : « Mettons que le témoin ne veut pas parler. » Alors, il se mit en colère : « Je ne brûle que d’une chose, c’est de faire connaître ma déposition. Mais j’ai mille obstacles qui s’y opposent… Alors, de temps en temps, la digue se rompt ! » Puis, il reprenait son silence d’augure, se balançait « comme la Pythie sur son trépied[1] ».

  1. Varennes, Aurore du 14 février 1898.