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LE PROCÈS ZOLA


avaient compris. Ils savaient ce qu’était cette « lettre », plus importante que toutes les autres pièces.

Cela se passait le 12 février. Le 15, dans une réunion publique à Suresnes, Millevoye dit qu’il connaissait la preuve irrécusable du crime de Dreyfus. C’était une pièce gardée au saint des saints de l’État-Major, si terrible que « la divulgation officielle d’un tel document déchaînerait la guerre ». Il en donna le texte :

Je demande que ce canaille de Dreyfus vous livre le plus tôt possible les pièces qu’il a promises. Signé : Guillaume[1].

L’auditoire éclata de rire ; Millevoye s’effondra sous les huées.

Ces ouvriers trouvaient l’invention par trop grotesque. Cette impériale annotation du bordereau, qui avait convaincu ou terrifié Billot et Félix Faure, leur fit hausser les épaules.

Henry, qui avait atteint son but, Gonse et Boisdeffre, qui ne se souciaient pas de livrer le faux des faux à la discussion, furent atterrés de l’intempestive offensive de Millevoye, comme ils l’avaient été précédemment de celle de Rochefort. Henry écrivit à Esterhazy qui l’avait averti : « C’est décidé : il faut faire le silence sur les épîtres du Q couronné ; on en a stupidement parlé ; donnez la consigne[2]. » Millevoye, rabroué, garda le

  1. Temps du 16 février 1898 ; Aurore, Siècle, Petite République des 17 et 18. — Jaurès, Les Preuves, 278. — À la même époque, le général de Sancy raconta au comte de Bernis que le bordereau original (sur papier fort) avait été volé à l’ambassade d’Allemagne pendant un incendie ; Munster l’avait réclamé ou ses passeports ; Mercier avait rendu la pièce, mais après l’avoir fait copier par Esterhazy. (Mémoires de Scheurer.)
  2. Dép. à Londres, 26 février 1900. — Voici la fin du billet : « Amitiés. H. » — Esterhazy ajoute : « Henry m’écrivit après avoir, évidemment, consulté en haut. »