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LE PROCÈS ZOLA

Henry, très rouge, grogna : « Moi, je reconnaîtrais la pièce à dix pas. » Picquart, toujours impassible, mais très correct, lui donna « le démenti le plus formel ».

Alors, brusquement, la mâchoire tendue, les yeux hors de la tête, Henry se tourne vers Picquart, et frappant la barre de la main, apoplectique, d’une voix tonnante[1] : « Et moi, je maintiens tout ce que j’ai dit, et j’ajoute que le colonel Picquart en a menti ! »

Acte, geste et ton du voleur surpris, forcé, qui tire son couteau. Il a l’intuition que quelque chose de violent, d’éclatant, peut seul le tirer d’affaire.

Mais Picquart, d’un suprême effort de volonté, a retenu son bras qui se levait, et devenu tout à coup d’une pâleur de cire, les dents serrées, les mains agitées d’un tremblement fébrile, il dit aux jurés, d’une voix frémissante, l’affreuse situation qui lui était faite et pourquoi on le traitait ainsi, pourquoi Lauth l’accusait d’avoir mis lui-même le petit bleu dans le cornet, pourquoi Gribelin, Henry, portaient contre lui d’autres accusations, non moins odieuses. Ah ! c’est très simple, et « vous le comprendrez quand vous saurez que ces mêmes hommes, Henry, Gribelin, aidés de Du Paty et

  1. Bataille, 219 ; Séverine, 102. — Bonnamour, dans l’Écho de Paris du 13 et dans le livre où il reproduit son compte rendu, applique la provocation d’Henry non pas à l’affaire de la pièce Canaille de D…, mais à celle du petit bleu : « Tourné vers les jurés, le colonel Henry, de sa voix posée, sans rudesse et si calme, assure : « Dans le paquet qui m’a été remis et que j’ai dépouillé avant le colonel Picquart, je le jure, il n’y avait pas trace du petit bleu. » Le lieutenant-colonel Picquart proteste. L’hercule, alors, fait le demi-tour, s’accoude à la barre. Avec un geste droit comme un coup d’épée, les yeux fixés vers son contradicteur, il dit résolument : « Eh bien ! colonel, vous en avez menti. » — Une pareille transposition est intentionnelle. Il en résulte, pour les 400.000 lecteurs de l’Écho, que le petit bleu est un faux et Picquart un faussaire.