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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


jure ne suffisait pas encore, il ajouta, s’adressant cette fois moins aux députés qui l’applaudissaient qu’aux jurés qu’il avait reçu l’ordre d’intimider : « Si jamais, dans l’affolement des passions, oubliant les intérêts sacrés de la patrie, on voulait imposer au Gouvernement la revision du procès, vous pourriez chercher un autre ministre de la Guerre ; je ne resterais pas vingt-quatre heures au pouvoir[1]. »

Ainsi, une fois encore, obéissant à un hideux chantage, et le premier, donnant l’exemple, il jeta son épée dans la balance.

La Chambre le crut ou fit semblant. Quand Roche, suffoqué par une telle audace dans l’imposture, ayant dans sa poche l’aveu écrit de Martinie, demanda à établir, pièces en mains, sa véracité, ce fut Brisson lui-même qui couvrit le ministre : « M. le général Billot, dont nous avons, depuis trente ans, pris l’habitude de respecter la parole. »

La Chambre, à la demande de Méline, ajourna l’interpellation après le procès de Zola[2]. En effet, de la discussion immédiate eût pu résulter la preuve que Billot avait menti, alors, au contraire, que son serment incontrôlé pèsera de tout son poids sur le verdict du jury.

Ce coup nouveau de Drumont fut décisif. Les défenseurs de Dreyfus s’obstinaient à croire que la bonté de leur cause suffisait à assurer la victoire. Leurs adversaires ne négligeaient aucun moyen. Ils agissaient partout à la fois. Ils avaient le sens de l’à-propos. Ils ne mettaient pas seulement de la lucidité, mais de la méthode dans le crime. Ils n’étaient pas audacieux qu’en

  1. « Billot s’est vu, l’interpellation sur la gorge, contraint d’affirmer… etc. ». (Intransigeant du 15 février 1898).
  2. Par 478 voix contre 72.