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LE PROCÈS ZOLA

Le jeu, pourtant, était dangereux : on eût pu se heurter à des consciences plus solides.

Il parut donc nécessaire de joindre à ces manœuvres individuelles une opération d’ensemble ; le mieux, pour agir sur ce jury incertain, troublé par tant d’échappées de la vérité, ce sera d’obliger Billot à proclamer, une fois de plus, au cours du procès, la culpabilité certaine de Dreyfus. On l’obligera, par la même occurrence, à donner carte blanche aux hommes d’action, à Pellieux, qui, si brillamment, a gagné ses éperons et dont Gonse, peureux et jaloux, chaque fois que ce vrai soldat prend la parole, s’en va dire qu’« il fait encore du vent ».

Depuis quelque temps, Rochefort avait entrepris une nouvelle campagne contre Billot au sujet de ses relations avec Mathieu Dreyfus, par l’intermédiaire de l’ancien contrôleur Martinie. Celui-ci, du premier jour[1], avait avoué, mais prenant pour lui la responsabilité de la démarche, mettant Billot hors de cause ; il écrivit ensuite à Rochefort deux lettres virulentes où il accusait Mathieu de l’avoir trahi, comme son frère avait trahi la France[2]. Le député Ernest Roche, que les socialistes appelaient « le laquais de Rochefort », avertit Billot qu’il l’interpellerait sur ce scandale.

C’était là, si l’on savait manœuvrer, l’occasion cherchée. D’une part, Drumont, dans son journal, annonça l’intervention au débat de Gauthier (de Clagny), antisémite notoire et césarien avéré, parce que les « patriotes en ont assez de voir Billot protéger Picquart, ex-distributeur des fonds secrets[3] » ; — Gauthier, d’autre part, adressa à Déroulède, alors absent de Paris, une dépêche virulente où il lui dénonçait « l’attitude louche de Bil-

  1. Lettre au Siècle du 5 janvier 1898 ; Soir et Libre Parole du 6.
  2. Intransigeant du 11 février.
  3. Libre Parole du 12.
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