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LE PROCÈS ZOLA


« l’inexistence des intentions qui lui étaient prêtées » que ce fait, mis en lumière par la défense, qu’elles eussent été absurdes, illogiques et, d’ailleurs, impossibles.

Il établit encore qu’il n’avait jamais fait perquisitionner chez Esterhazy ; il n’a envoyé chez lui qu’un seul agent qui a constaté que beaucoup de papiers avaient été brûlés et qui n’a rapporté qu’une carte (de Drumont ; mais Picquart ne le nomma pas). Voilà le « cambriolage » dont l’ont accusé Pellieux et Ravary, dont il a été mené si grand bruit que les revisionnistes eux-mêmes le lui ont reproché. Pellieux dut convenir que, ce qu’il avait affirmé, il le tenait exclusivement d’Esterhazy[1].

Enfin, Ravary dit le mot de la situation : « La justice militaire ne procède pas comme la vôtre. » Albert Clemenceau s’exclama : « Il n’y a qu’une justice, il n’y en a pas deux ! » — « Notre code, répliqua Ravary, n’est pas le même[2] ! ».

Ce commentaire affaiblissait la belle franchise de sa première affirmation ; la protestation de Clemenceau n’était pas fondée ; en fait, c’est Ravary qui avait raison. Il y avait, en effet, deux justices, deux conceptions du devoir et de l’honneur, deux mentalités, deux Frances.

À la sortie du Palais, on s’assomma beaucoup. Le soir, on saccagea des magasins juifs. Toute la nuit, les braillards antisémites manifestèrent à travers la ville apeurée, comme à la veille d’une émeute. Tous les cerveaux battaient la fièvre.

  1. Procès Zola, I, 333, Pellieux.
  2. Ibid., I, 345, Ravary.