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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tion, les témoins militaires sortirent en furieux, à la suspension d’audience, Pellieux en tête, clamant qu’ils avaient été insultés et que le cri de « Vive Picquart ! » équivalait à celui de « À bas l’Armée ! »

Le bâtonnier Ployer, malmené ce matin même, par Drumont, trouva l’occasion bonne pour rentrer en grâce.

La toque en main, il s’approcha des généraux, les pria d’excuser quelques échauffés[1]. Autour de lui, avocats et journalistes gesticulaient, s’injuriaient, prêts à en venir aux coups ;

Labori, à la reprise de l’audience, questionna Picquart. Ses brèves répliques, qu’il fallut, parfois, arracher, toujours nettes et précises, accrurent la colère des militaires. Jamais ses chefs n’ont allégué comme une impossibilité matérielle, résultant de documents, qu’Esterhazy ne pouvait pas être l’auteur du bordereau. Picquart savait qu’il allait à l’encontre de ses intérêts en poursuivant ses recherches sur Esterhazy ; mais ses chefs, à qui il eût obéi, ne lui donnèrent jamais l’ordre de cesser. Sa mission en Afrique fut une disgrâce déguisée. Sans l’intervention du général Leclerc, on l’envoyait à la frontière tripolitaine, dans des parages qui n’étaient pas « des plus sûrs ». Esterhazy a su trouver, dans les bureaux de la Guerre, des amis qui lui ont prêté aide et secours pour la fabrication des fausses lettres et des fausses dépêches. Ravary s’est refusé à chercher les auteurs de ces faux. Le général Guerrier a fait rayer des états de service d’Esterhazy une fausse citation à l’ordre du jour ; le conseil de guerre n’en a rien su. Le document libérateur, c’est la photographie

  1. « Marchant en avant de ses confrères, — ils sont au moins deux cents, — Me Ployer s’avance vers les généraux et, enlevant sa toque, dit à deux reprises : « Vive l’Armée ! » (Journal des Débats.)