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LE PROCÈS ZOLA


gage. Tel qu’on le vit alors, rien ne l’explique mieux que son style. Il y porte la même exactitude que dans sa conduite, le même sérieux, la même mesure. Il évite toute dissertation, qui serait périlleuse, feint d’ignorer les causes profondes, les hommes, s’efface derrière les faits. On n’aperçoit ainsi que les faits eux-mêmes, ce qui passe pour la perfection du récit. Il ne cherche pas à exciter l’intérêt par le pathétique, par l’éloquence, par les épithètes. Il a cette qualité des bons classiques, d’écrire et de parler très purement « sans y prendre garde[1] », ce quelque chose de moyen (je ne dis pas de médiocre) dans la pensée et, par conséquent, dans la forme, qui donne la double sensation du solide et du clair, et cette simplicité que tous les gens de goût admirent, mais où personne n’atteint s’il n’en a le don. On voudrait parfois une trame du discours plus serrée, sinon plus forte, mais le tissu en est solide, bien uni, d’une excellente matière. La phrase suit bien l’ordre des idées, sans effort. Plus de chaleur ne nuirait pas, un peu d’émotion plairait. Mais il possède la plus rare des qualités littéraires : « Nulle qualité dominante[2]. »

XIV

Ce discours de Picquart fut suivi de scènes d’une violence extrême. Comme les revisionnistes, nombreux ce jour-là, beaucoup d’avocats en robe, lui firent une ova-

  1. J. J. Weiss, Essais de littérature, 381.
  2. Taine, Essai sur Tite Live, 340, en parlant de Xénophon.